l'adieu aux lames

L’adieu aux lames.


Que j’aimerais tant encore pouvoir surfer sur les lames. Je hais les années qui passent et qui me rendent moins fort physiquement que je n’étais, moins alerte, moins solide et qui me font perdre en longueur et vivacité, suffisamment en tous les cas pour m’empêcher de jouer des lames efficacement sur des shafts acier adaptés sans me blesser, comme je le pouvais auparavant. Le trackman ne ment pas. Saleté de machine implacable ! J’ai vieilli. Elle me l’a montré.

Pourtant, est-ce qu’il y a honnêtement quelque chose de plus beau qu’une lame forgée, faite de ces aciers purs, polis ? Cette simplicité de forme parfaite. Quel club est capable de vous apporter cette magie du toucher dans les doigts… satanés chiffres qui ne mentent pas. Oui les lames pardonnent moins les erreurs, les moments de fatigue, la lenteur de swing.

Si j’étais riche, je pense que j’en ferais collection. Les Mizuno, Titleist, Maruman, qui m’ont toujours ébloui… la plupart sont de vraies œuvres d’art. Même les lames Callaway, marque qui pourtant est habituée à produire des fers cavity back si moches à mon goût. Et pourtant voilà, je n’ai jamais aussi bien scoré que sur mes vieux Callaway X14 assez vilains… Va comprendre l’ironie du sort ! (Et qu’on ne se trompe pas, je joue des bois Callaway que je trouve superbes)

J’aime les lames pour leur pureté et leur simplicité. Surtout les japonaises. Parce que leur finesse, précision me rappellent certainement ces sabres japonais, les katanas. Ces divines lames chargées de spiritualité romantique, un peu dépassée. Frappée dans le sweet spot, une lame forgée c’est carrément orgasmique. Désolé d’apporter cette notion un peu charnelle, il n’y a aucune volonté obscène de ma part mais c’est une véritable sensation extrèmement sensuelle que de pincer une balle entre ciel et terre avec ces aciers forgés muscle back et de la voir jaillir, cette balle, soumise à l’effet que le tendre métal lui a imprimé si facilement. Mais comme chacun sait, la passion charnelle peut aisément vous mener à certains désastres, aussi. Avec les années vient le « Réalisme ». Il est venu le moment de savoir ranger son katana. De savoir s’asseoir et se montrer raisonnable. Comme une petite mort de la fierté. De s’accorder ce confort de ne plus payer trop cher pour ses fautes assez inéxorables. Forgiveness takes the lead !

Je ne sais pas si d’aucuns d’entre vous avez jamais vu ce film (chef d’œuvre !) absolument magnifique : “Les Sept Samouraïs” d’Akira Kurosawa. Il date de 1954. Ce n’est pas jeune je sais. La plupart des gens ne connaissent que sa copie hollywoodienne plus tardive et plus grand public : “Les Sept Mercenaires.” Dans la version initiale japonaise et à mon sens incomparable car porteuse d’une véritable philosophie et réflexion sur le monde des hommes, sur le “progrès”, les valeurs… il y a une scène qui me bouleverse (parmi tant d’autres).

Les Sept Samouraïs

Un des samouraïs, expert dans l’art du maniement du sabre, du katana, lors d’un assaut contre les “mauvais”, sous une tempête d’orage absolument dantesque, se fait faucher par les balles d’un fusil. La Chevalerie, l’art de combattre au sabre avec art et honneur devient en une seconde totalement “ringardisée” et donc “tuée” symboliquement par l’inéxorable apparition de la modernité, l’arme à feu. Et sa facilité.

Les fers cavity back (bien moins beaux pour la plupart convenons-en. Bien qu’il y en est qui soit plutôt très réussis, mais quand même ce n’est pas “ça”.) ont tué les lames pour le grand public. Elles sont désormais réservées aux très bons joueurs… ou bien aux esthètes (souvent considérés d’une façon assez primaire comme d’affreux snobinards). Car il s’agit bien évidemment au golf de jouer 18 trous avec le moins de coups possible. Non ? Parce que nous souhaitons tous que cela soit plus facile, parce qu’il faut admettre que le swing parfait à 100% est souvent un art au dessus de nos forces, nous amateurs, dans un monde qui n’accorde plus trop le temps au temps. Dans une recherche permanente de perfection qui n’admet pas vraiment l’erreur. Cette société qui magnifie la performance à tout prix,  où “faillir” c’est un peu mourir, en tous les cas, ne pas exister. Dans ce monde qui réclame uniquement vitesse, immédiateté et facilité, les lames deviennent un peu dépassées. Ce qui se comprend. Ce n’est pas répréhensible. Je divague ? Peut être, après tout je suis moi-même un peu ringardisé de fait. Plus trop de mon temps. J’aime l’esthétique de la difficulté. De l’épreuve. Du mérite. Mais pourtant lorsque vous regardez les tournois des champions, vous les voyez presque tous jouer des lames si facilement. Ce n’est pas par hasard. Ces samouraïs des fairways. Si la facilité n’était que le simple but du golf, croyez-vous vraiment qu’ils joueraient encore des lames ? Je sais bien que eux jouent comme des dieux… Qu’ils s’entraînent dix heures par jour… qu’ils ont encore cette force aussi. Mais il doit bien y avoir autre chose de plus secret.

J’aime en fait, je l’avoue l’incertitude de mes imperfections. J’aime le golf quand il me donne ce “thrill” de ne jamais savoir si je vais rater ou réussir. Ce qui me fait me sentir humain en un sens et non pas machine. Ce qui me fait apprécier mes excellences. Haïr mes faiblesses. En tous las cas éprouvez des émotions si fortes. Risquer ! Les lames. Cet objets bruts qui vous laissent face à vous-même et votre propre destinée. Qui ne pardonnent rien. Fragiles ou puissants. Il faut juste swinguer et alors accepter ce qui va se produire. Le meilleur ou le pire. Les lames vous magnifient. Ou vous assassinent. Au choix.

Bon là normalement vous vous dîtes : « Il est VRAIMENT complètement secoué le Didier !”.

La notion spirituelle que je trouve dans le golf n’est pas simplement de mener une balle d’un point A à un point B en x coups. Mais c’est de le faire avec cette sensation d’élégance si imperceptible, si fugace, si fragile, si insaisissable, si unique ET dans un environnement propice à la beauté… Ce que j’admire chez les pros, ceux qui sont au dessus du lot ce ne sont pas tant leurs victoires, ce sont leurs “chemins”. Cette façon qu’ils ont de se battre contre l’imprévisible et le danger. Contre le vent, les bourrasques, les tempêtes… eux-mêmes. J’aime Woods, Els, Garcia… bien plus que Spieth ou Thomas parce qu’ils ont cette “chair” spirituelle de l’ancien temps. Cette difficulté parfois à survivre et les “guts” de montrer leur fragilité, leurs prises de risque. Privilège romantique de ceux qui ont déjà vécus. Les jeunes joueurs n’ont pas encore eu le temps d’affronter la face cachée de la lune. Leur temps viendra.

Je saute un peu du coq à l’âne, je digresse, je m’égare un peu dans le rough, pardonnez-moi.

Quand Sergio a gagné le Masters l’an passé, j’ai eu cette sensation qu’il ressucitait cet esprit des samouraïs. Ces guerriers un peu vieux, dépassés, ringardisés mais portant ces valeurs de combat, de lutte si précieuses qui finalement permettent un jour ou l’autre de planter la banderille fatale avec esthétique. De même que le retour de Woods, sur lequel je me suis déjà expliqué, engendre cet amour absolu de la rédemption et renaissance du héros. Cette résurrection. Cette façon de repousser le déclin. Cette espérance de longévité. Ce mythe à la fois pathétique et merveilleux d’une certaine immortalité.

Il y a quelque jours, au practice du golf de Longchamp, je regardais un jeune gars, talentueux, taper avec ses lames Mizuno toutes neuves. J’ai arrété de taper, j’ai posé mon club, je me suis assis. Il claquait des fer 5 magnifiques contre le vent qui me faisaient envie. Puissants. Quel bruit à la sonorité divine. Avec cette longue trajectoire ascendante si parfaite. Ces courbes douces. J’étais en admiration. Je me suis permis de le complimenter dans un de ses moments de pause. Je n’ai pas pu m’en empêcher. Il m’a regardé. Nous avons souri. Je savais. Il savait. Nous savions pourquoi c’est si bon de jouer ces armes là ! Il continuait de taper pour lui et aussi pour moi. Cela se sentait. On était du même “club”. Partageant ce même amour. Cette religion.

Le soleil orange s’effaçait, bas vers l’ouest. C’était un de ces beaux couchers de soleil un peu triste. Avec le tic-tac impitoyable de l’horloge du temps qui résonnait fort dans mon cœur. Oui, c’était triste et beau, comme un certain roman d’Hemingway.

Sur Didier Brun

Passionné de golf depuis un autre millénaire, joueur senior amateur "lambda", avec ses hauts et ses bas (index 11,5). Je m'amuse à écrire à propos de différents aspects de ce sport merveilleux, en toute indépendance, tout en essayant de garder une bonne dose d'humour et d'auto-dérision. Les opinions que je diffuse avec plaisir sur ce blog n'engageant que ma modeste personne. Pour paraphraser Clémenceau : "La passion du golf est une affaire trop sérieuse pour la laisser (seulement) entre les mains des journalistes !"

2 commentaires

  1. Tout à fait d’accord. Impossible de rêver avec des cavity back, qui ressemblent à des truelles et qui font jamais un beau bruit bien mat 😉 J’ai un index moins bon que le vôtre, mais tant pis pour mon classement, vive les lames, ça a du chien. C’est tellement beau dans le sweet spot, et au moins ça fait mal quand on rate ! On se prend de temps en temps 5 minutes pour Ballesteros, en pull de cachemire, pantalon classique et chaussures de cuir. Ça aussi, ça avait de la gueule !

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