The masters Tiger woods Phil Mickelson

Lorsque j’ai joué le Masters.


J’ai joué mon premier Masters en 1989.

J’étais en partie de trois avec Bernard Pascassio et André-Jean Lafaurie. Je m’étais qualifié en acquittant mon forfait Canal Plus. On recevait alors par la poste chaque mois le code qu’il fallait entrer en appuyant sur le petit clavier numérique du décodeur. Ce n’étaient pas des qualifs si faciles que ça, croyez moi. Le plus difficile était peut-être de ne pas devoir partir avec femme et enfants à la campagne si jamais le tournoi tombait durant les vacances scolaires pascales de la zone Paris. J’adorais donc à l’époque le mauvais temps installé pour la semaine sur le centre de la France, ce qui me permettait à coup sûr de jouer le “Majeur” absolu. Celui des Maîtres. (J’apprendrai à vénérer le British plus tard !)

J’aimais beaucoup jouer avec André-Jean. Il avait une élégance, un savoir, un vécu, une vraie culture et une distinction inégalable. N’avait-il pas été le traducteur de ma nouvelle bible du moment: “Toutes mes leçons de golf.” de Jack Nicklaus. À l’époque éditées en deux volumes. Il était alors la référence en matière de journalisme de golf. Et à mon sens il reste Monsieur Golf, des années après sa disparition. J’aimais sa voix, douce, précise avec pourtant ce léger chuintement. Il savait laisser des silences si parlants sur la philosophie de cet art sportif. Contrairement à ceux qui se sentent obligés aujourd’hui de “combler”. Il ne parlait jamais fort mais l’intensité de son amour pour “son” sport était telle qu’elle traversait l’écran et venait imprégner toute mes cellules de golfeur tout juste débutant. Le Masters avec André-Jean Lafaurie c’était un peu comme “Pierre et le Loup” avec Gérard Philippe, ou “Le mépris” avec Bardot. C’est marqué pour toujours.

Bernard Pascassio. Le basque golfeur professionnel de service. Le consultant idéal. Cet accent puissant avec de vraies racines. Ce sourire permanent. Sa compétence pudique, son expertise dénuée de toute arrogance et donc sa naturelle légitimité faisaient merveilleusement écho avec l’humilité de Lafaurie qui savait jouer les faire-valoir sans fausseté. Ils formaient à tous les deux une paire royale. Je me laissais porter avec grâce. Quand Pascassio disait “ Là il faut jouer un fer 7 pour surtout ne pas dépasser le green…” il fallait vraiment l’écouter. Il se trompait très très rarement. J’aimais son calme. Bons ou mauvais coups étaient accueillis avec cette “distance” émotionnelle maîtrisée de vrai pro. Je découvrais pourquoi le golf est un sport d’équilibre entre passion et maîtrise. Entre élégance et soif de gagner. Un sport de contraires complémentaires.

À cette époque nous ne commencions à jouer que du 10, déjà assez tard dans la soirée. Devant la maison de Bobby Jones noyée dans les azalées. En général nous jouions tous des bois 3 en draw sur ce départ pour épouser la pente droite gauche et laisser la balle rouler longtemps sans trop de risque tout au long du fairway. On se laissait alors un fer 6 or 7 pour attaquer le green surelevé. Qu’il est tordu ce green du 10. Les bunkers barrant le fairways n’étaient pas en jeu. Ils le sont seulement pour les amateurs “membres”du club le plus fermé du monde, qui eux partent de bien plus près que nous. Cela nous faisait sourire et chaque année nous en parlions.

En général je ne jouais pas tout de suite très bien. Trop distrait par la beauté enchanteresse des lieux. Le parcours d’Augusta est à mon sens le plus beau des bijoux. Manucuré, sans un brin d’herbe qui dépasse. La ravissante maison de bois de son créateur donnant le ton “Sudiste” à l’endroit. Et partout ce vert, si puissant. Ces rhododendrons et azalées multicolores. Toutes ces couleurs si vives, comme dans un Disney, alors qu’ici la végétation est encore habituellement cachée dans ses bourgeons. Entre les arbres une couche d’aiguilles de pins tapissant parfaitement tout comme une moquette gracieuse. Comme un dessin parfait. Ces arbres si merveilleusement répartis et replantés si besoin. Tous semblant avoir été là pourtant depuis toujours. Comme le chêne du Président Eisenhower qui barrait le drive du 17 et dans lequel ce héros de la WWII perdait souvent sa balle. Et ces ruisseaux si merveilleusement dessinés. Quelle merveille ! Ce parcours est une œuvre d’art. Créé par un homme fou de golf. Un des plus grands champions de l’histoire, Bobby Jones. Celui qui a tout gagné, ratatinant les professionnels de l’époque alors que lui restait amateur. La grande classe d’un homme “privilégié” qui partageait pourtant sa richesse pour sa passion. Visiblement sans trop compter.

Mais déjà il fallait attaquer ce long drive du 11, premier trou de l’Amen Corner et bien se garder de ne pas trop rester sur la gauche. Sinon l’attaque du green c’était un peu foutu. Ce green sur lequel Larry Mize en 87 enquilla un chip de près de quarante mètres sur les yeux de Norman qui se voyait déjà avec la veste sur les épaules, Ballesteros ayant été émiminé dès le 10 du play-off. La plus grande injustice du golf peut-être. Mais non au golf il n’y a pas d’injustice. Mize l’a rentré son chip, il voulait le rentrer. Il le voulait tant. Il possède désormais cette veste verte pour l’éternité. Norman ne l’aura jamais. C’est une autre histoire. Amen !

Au 12 il nous fallait toujours regarder la cîme des arbres entourant ce tout petit green en forme de haricot pour savoir apprécier la force et la direction du vent. Pitching wedge ? Fer 9 ou 8… ? C’était à chaque fois si compliqué et c’est souvent là que le tournoi pouvait se jouer. Aussi. Comme en 2016 quand Spieth perdit tout. Et il ne fut pas le premier. J’aimais bien me poser sur la gauche du green et assurer mes deux putts vers ce drapeau toujours coincé à droite. Un peu lâchement. Surtout éviter ce bunker fond de green qui pouvait nous renvoyer dans le ruisseau. Si il y a bien un green où tu vois les pros sortir en sueur, les jambes un peu mollasses et soufflant d’aise quand ils ressortent avec un par c’est bien celui du 12 à Augusta. Amen !

Ce départ du 13 nous laissait décidement aucun répit. Il fallait faire ce draw puissant qui ne soit pas un hook, ce qui nous aurait envoyés immédiatement dans l’eau du ruisseau ou la forêt sur la gauche. Plus d’un leader y a perdu le tournoi. Mais c’est le second coup qui m’impressionnait. Comme celui de Fred Couples lorsqu’il claqua ce pur fer 5 en 92 et parla à sa balle comme si c’était sa fiancée : “Come on baby”. Il avait tapé comme si il était au practice. Avec ce côté super relax qu’il a si souvent. Ce swing presque mou mais avec lequel il est si long. Ça claque comme un coup de canon. Tu as l’impression que le club lui tombe des mains. Quel rythme. Quelle belle veste verte il a gagné. Et puis la balle qui roule de la gauche sur la droite, en bas du green. Ce putt pour eagle que tant ratent aussi vue la pente du green. Ne parlons pas de ceux qui descendent au fond du ruisseau avec une épuisette afin de retrouver leur balle. Amen !

Mais déjà il se fait tard, demain je bosse. Non, je ne peux pas abandonner la partie. Je me lève de mon fauteuil alors que tout le monde dort dans les chambres à côté. Faisant le moins de bruit possible je vais chercher une bière fraiche pour me remonter le moral et me permettre d’attaquer le 14 dans de bonnes conditions. Grrrr ce trou si simple et ce green pourtant si enférique. Ce premier putt qui dépasse le trou de… hey la balle arrête toi … oh non c’est pas vrai… Mais tu es folle ou quoi, pourquoi tu fuis comme ça ? Amen !

Le 15, où il faut taper un deuxième coup avec un long fer et le faire tenir sur ce green en presqu’île et en forme de dôme. Combien de coups magiques y ont été réalisés ? Mais en terme de magie, il semble que c’est surtout le 16. Le par 3 qui te met des spasmes d’épileptique, une tension artérielle de grand buveur et des suées de cantonniers. Ce green au pourcentage de piste noire. Et surtout Tiger pour l’éternité. Le 16 à Augusta devrait porter le nom de Woods. 2005. Le chip de tous les temps. Pas racontable. Le type “habité”. Qui regarde, estime, calcule, prépare, se nourrit, s’imprègne, possède. Tu en pleures presque d’émotion quand la balle tombe dans le trou après avoir fait semblant de ne pas vouloir. Comme un teaser de block-buster pour te dire :” Eh Machin regarde, imprime, tu assistes dans cette nuit de fous à un vrai évènement unique, genre Armstrong sur la lune.” Divin. Amen !

Il se fait si tard avec le 17 et le 18. Les yeux pleurent un peu avec les baillements irrépressibles. Quoi ? Play-offs ? Mes yeux se ferment un peu. Demain je vais être complètement à la rue au boulot. Mais tant pis. “Tu veux être golfeur ou tu veux pas être golfeur ?” Re-départ… le 10 en draw… puis le 11… je ne vois presque plus rien, les images se brouillent… Puis finalement tout s’accélère… Non, ne me dîtes pas que le ricain va gagner tout de même ???… Si il a ce petit putt de rien… Non !!!! P…., c’est pas vrai… Scott Hoch rate ce putt de cinquante centimètres. Yeeeeesssss… Et… Faldo qui rentre cette ficelle de dix mètres. Il lève les bras au ciel. Moi aussi.

Je quitte mes partenaires. Je vais me coucher, épuisé, rincé. Je me glisse sous la couette sans faire de bruit. Me roule sur le côté, le cœur encore battant si fort. Je ferme les yeux et je “vois”… Je refais toute la partie dans ma tête. Ma vie a changée. Je sais que le golf est à jamais mon Maître. Amen !

Sur Didier Brun

Passionné de golf depuis un autre millénaire, joueur senior amateur "lambda", avec ses hauts et ses bas (index 11,5). Je m'amuse à écrire à propos de différents aspects de ce sport merveilleux, en toute indépendance, tout en essayant de garder une bonne dose d'humour et d'auto-dérision. Les opinions que je diffuse avec plaisir sur ce blog n'engageant que ma modeste personne. Pour paraphraser Clémenceau : "La passion du golf est une affaire trop sérieuse pour la laisser (seulement) entre les mains des journalistes !"

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