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Pourquoi Tiger a (encore) gagné !


 » Tiger est mort, vive Tiger ! « 

Lorsque j’ai débuté au golf il y a bientôt trente ans j’avais pour modèle Nick Faldo. Je me nourrissais notamment de ses deux victoires consécutives aux Masters de 89 et 90 ainsi que de ses démos en VHS réalisées avec Leadbetter. Son golf me semblait fluide, léger, tranquille, sûr… plein de ce sang-froid si anglais qui le fit être un peu détesté aussi. (Et bien qu’il fut déjà sur le déclin, je vénérais aussi la fougue exceptionnelle de Ballesteros, n’étant pas à une contradiction près !)

La troisième victoire éblouissante de Faldo au Masters sur Norman en 96 fut un véritable moment dramatique. Au sens théâtral du terme. Non seulement il remonta ses six coups de retard sur le Shark au départ du quatrième tour mais en plus il finit avec cinq coup d’avance. Cette victoire donnait encore plus de raison à ce que je pensais du jeu de l’anglais. J’aimais tant ce swing si relax. (Comme j’adore celui de Els, de Goossen et de Rose) “Nick” n’avait pas le plus long mais un des plus précis jeu de fers qui fut. Il me semblait si élégant (si ennuyeux et pédant diront certains et je les comprends parfaitement. Il est dit que Faldo ne s’est pas fait que des amis). Un swing reconstruit avec Leadbetter et fait pour durer. Il savait jouer avec régularité « au pourcentage », clé du succès telle que Nicklaus l’enseignait dans ses fameux bouquins. Mais voilà…

Un an plus tard, toujours au Masters, un jeune gamin de 21 ans que je jugeais alors un peu arrogant, typiquement emblématique de cette insolence américaine parfois si détestable (comment pardonner l’attitude indigne de l’équipe et du public US à Brookline lors de la Ryder Cup 99 ?), réduisit Faldo, la gravure de mode si « British old school  » au simple rang de spectateur un peu ringard. En l’espace de quelques heures, le gamin californien le fracassa. Il en fit du petit bois, de mon idôle. Un nouveau jeu de golf apparût. Une autre dimension. Tiger Woods. Des drives d’une longueur et d’une précision jusqu’alors impossible à concevoir sauf pour l’extra-terrestre que semblait être alors John Daly. Ses coups de fer 2, les fameux stingers, que Butch Harmon lui avait enseignés depuis peu, qui over-drivaient la plupart des drives des autres concurrents. Des coups d’approche, un petit jeu et un putting inimaginables de précision pour un golfeur si jeune. Un jeu de rêve ! Une véritable « hallu ».

Donc, lors de ce Masters 97, après les neuf premiers trous catastrophiques de Tiger (+4), les spectateurs, ainsi que l’ancienne garde du champ des pros du tournoi, affichaient encore ce sourire goguenard signifiant : « jeune prétentieux ». Puis Tiger les tua. Les uns après les autres. (-6 au retour soit 70 au final. Il enchaîna avec 65-66-69 pour établir le record du tournoi : 270 soit -18) Il remporta le tournoi avec 12 coups d’avance sur son second, Tom Kite. Dooooooouuuuuuze coups d’avance. Au Masters. La plupart des joueurs tels Faldo ou Norman ne mirent pas longtemps avant de s’éloigner progressivement du golf. Ils « savaient ». Un autre roi était né. « Les rois sont morts, vive le roi ! »

S’ensuivirent les fabuleuses années Tiger. Nous les connaissons. À l’aune de sa première victoire à l’US Open en 2000 à Peeble Beach. Quinze coups d’avance sur ses seconds, M.A. Jimenez et E. Els. Une bagatelle. Près de quinze ans de domination féroce ne laissant que quelques miettes éparses pour la meute. 79 tournois PGA gagnés et 14 majeurs. Oui ça pique un peu ! Puis vinrent ses déboires extra-sportifs ainsi que ses blessures. Et l’apparition de la nouvelle « vague »… une génération fantastique née au golf en se nourrissant de ce que Tiger avait semé.

Depuis trois ans nous pensions que Tiger était fini. Carbonisé par son propre succès et ses divers excès extra-sportifs (et à mon sens il n’appartient à personne de les commenter et de les juger). D’aucuns ont savouré avec délice ce déclin si brutal. Comme si Tiger devait en quelque sorte payer son talent au prix le plus fort. En matière de justice un peu mesquine. La sournoise aigreur de ceux qui n’ont jamais osé croire en leur propre excellence qui n’aiment pas tant voir les anges voler. Et puis après tout, place à la jeunesse, les nouveaux princes du golf étant si pétris de talent, le spectacle sans Tiger est ma foi rafraîchissant, enthousiasmant. Passionnant.

Oui mais…

Le Farmers à Torrey Pines signait le retour officiel du Tigre. Une image (parmi tant d’autres) me vient immédiatement en tête. Un des par 5 de cinq cents mètres. De chaque côté du fairway, du départ jusqu’au green, une foule captivée, frémissante, amassée, ininterrompue sur quatre rangées au moins. Quatres kilomètres de cœurs fervents unis dans leur émerveillement commun. Ça en fait des vibrations positives ! Et lui se battant avec ses drives allant se perdre dans le rough, ses coups de fers pour se sortir de là, son chipping d’artiste et son putting (presque) parfait. Il finit le tournoi à -3. À -6 ou -7 cela n’aurait pas été du vol, avec un poil de bonne étoile en plus sur certains putts. Alors… Renaissance ? Agonie ?

Chacun juge de ce qu’il y voit. Et a envie de voir. Je suis resté pour ma part admiratif (et pas surpris) par l’excellence de son “mental”. Comment être capable de jouer si mal “si bien” ? C’est Tiger. Après quasiment trois ans d’arrêt et deux vertèbres soudées. À 42 ans. Quelle lucidité face à ses faiblesses et ses talents, quelle rage à ne rien lâcher ! La magie qu’il opère toujours club en main sur la balle… et sur les foules est unique. Son visage reflétait, surtout samedi et dimanche une fois le cut passé, un mélange de volonté obstinée et d’acceptation de ses erreurs. Son engagement dans la balle était total et pourtant sous contrôle. Si le public espérait le voir réussir un score à l’image de son passé, Tiger signifiait par sa stratégie de jeu que son cadre de référence était pour l’heure bien plus humble. Il a su rester dans sa zone de confort, en testant toutefois les limites lorsque le prix à payer pour ses éventuelles erreurs ne serait pas irrémédiable. En terme de gestion il m’apparaît que Tiger a réussi un très grand tournoi. Une de ses œuvres d’art.

Bien sûr D. Johnson, B. Watson et McIllroy vont ridiculiser Tiger en longueur. Spieth et Day peuvent éventuellement conseiller Tiger au putting (quoique!). Thomas et Rose peuvent rivaliser avec lui sur les fers. Et d’autres encore. Pourtant il est fort probable qu’aucun n’atteindra jamais son excellence (et j’aimerais me tromper, pour la simple beauté du jeu). Ils peuvent tous le battre désormais. Ils le feront. Ils en rêvent. Il n’y a rien d’injuste à cela. Cependant je n’en vois pas un seul qui peut rivaliser en terme de spectacle total. En plus de son bagage golfique (m’apparaissant inégalé), Tiger, de par son histoire, sa destinée, son charisme quasi spirituel, porte en lui cette tension magnétique et dramatique qui fait toute la différence dans un tournoi avec ou sans lui. (Jason Day vient de remporter le tournoi en play-off devant juste une poignée de spectateurs. Brillant vainqueur. Et chapeau pour Nohren aussi !)

Peu importe si Tiger gagne ou perd. Il a déjà gagné en apparaissant sur le départ du 1 le premier jour à Torrey Pines. Il a déjà gagné encore plus en franchissant le cut, repoussant ainsi « cette mort annoncée ». Il sourit d’être là. Enfin de retour ! Il a retrouvé un nouveau but à atteindre. Pas des moindres. Et quand on connait un peu la nature profonde, viscéralement génétique de sa pugnacité, je ne serais pas étonné de le voir soulever encore quelques trophées. Peut être pas de majeur. (Et qui sait ?) Mais en tous cas un plus précieux encore. Celui de sa victoire sur lui-même et ses démons. Tiger ne se bat pas (actuellement) contre les autres. Son meilleur adversaire est lui-même. Et il est aussi son meilleur allié. Tiger vs Tiger. That’s it !

Il en revient à l’essence du golf. Celle que nous tous, les amoureux de ce jeu, nous connaissons si bien, quel que soit notre niveau de jeu. Ces défis que nous nous lançons lorsque nous jouons pour notre simple plaisir d’amateurs. Nous savons bien que notre plus grande satisfaction n’est pas de battre X ou Y, mais bien ces victoires majeures que nous remportons sur nous-mêmes lorsque nous côtoyons notre propre excellence. Nous savons aussi combien « nos défaites » nous affectent lorsque nous jouons mal. Bien plus que lorsque nous perdons en jouant bien contre quelqu’un de plus fort que nous. Le golf est profondément lié à ce critère de valeur que nous nous accordons à nous-mêmes. Nous sommes alors nos propres juges implacables. Je parle de ceux qui ne trichent pas. Et pourtant c’est bien quand nous sommes dans un état de rêve éveillé qu’il nous arrive d’atteindre notre niveau d’excellence. C’est en tous les cas ce que je retiens de ma propre expérience.

De tous les sports que je connais ou que j’ai pratiqués il me semble que seul le golf est capable de produire cette passionnante tension si personnelle, si intime. Cette quête de perfection à la fois illusoire et envoûtante. Cette relation fusionnelle à notre « Moi » idéalisé, comme pourrait dire un psychologue. Quête, qui pour certains d’entre nous, devient encore plus prenante avec les années. En vieillissant nous apprenons la fléxibilité, à changer notre façon de jouer, à nous adapter afin de parer à ce que notre jeunesse perdue nous a enlevé et aussi à aller gagner ce que la maturité peut nous offrir. Certains esprits disent même que Tiger prépare déjà sa seconde carrière sur le Champions Tour. Peut être est-ce vrai. Bien qu’il me plait de penser qu’il mûrit d’autres ambitions plus immédiates.

Le golf est un voyage sans fin, une école de vie en ce sens que ce simple jeu nous pousse à toujours espérer le meilleur de nous-mêmes. Nous apprenons aussi et surtout à gérer nos faiblesses, nos erreurs et ainsi à faire croître nos talents. C’est notre quête du Graal quel que soit notre vrai « par ». Vous le connaissez bien votre sourire lorsque vous tapez un coup pleine bille, ces jours “là” ? Cette douce sensation du contact parfait dans vos mains ? Ce bruit « exact » du club sur la balle, qui dit tout ? Ce sentiment « d’être » si merveilleusement vivant lorsque vous regardez alors la balle voler et aller se poser parfaitement ? Ces jours où la ligne des putts semble dessinée à la peinture blanche sur les greens ? Vous voudriez alors que cela ne s’arrête jamais, n’est-ce pas ? Des petits moments d’éternité. Comme Tiger le veut je suppose !

La symbolique de ce come-back est assez banale finalement. Si humaine. Accepter nos imperfections, guérir de nos blessures, mettre un genou à terre et se relever. Savoir s’adapter aux différents aléas tout en restant soi-même. Sans cesse se découvrir de nouveaux talents au gré des challenges qui nous sont proposés. Et avancer… avancer… et sourire à la vie. C’est aussi (surtout ?) cela que « ses » foules viennent applaudir et puiser aujourd’hui lorsqu’elles suivent les parties du nouveau Tiger. Cette énergie vitale !

Il me semble que ceux qui souhaitent tant que ce génie du golf arrête et meurt un peu, qui moquent son âge, son soi-disant déclin et ses chimères, et ils sont un certain nombre, s’ils pensent éventuellement savoir jouer au golf, n’en connaissent pas vraiment la philosophie. « Longue vie au Roi !« … Show must go on !

Crédit photos: Getty Images

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Sur Didier Brun

Passionné de golf depuis un autre millénaire, joueur senior amateur "lambda", avec ses hauts et ses bas (index 11,5). Je m'amuse à écrire à propos de différents aspects de ce sport merveilleux, en toute indépendance, tout en essayant de garder une bonne dose d'humour et d'auto-dérision. Les opinions que je diffuse avec plaisir sur ce blog n'engageant que ma modeste personne. Pour paraphraser Clémenceau : "La passion du golf est une affaire trop sérieuse pour la laisser (seulement) entre les mains des journalistes !"

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