Photo : F. Scott Schafer

50 nuances de… green !


« Have you ever been bewitched by these damned shanks ? » ***

Vous vous demandez certainement pourquoi ce sous-titre en anglais ? Non non, je n’ai pas viré « prétence » avec le melon de celui qui a appris l’anglais sur Babbel en trois semaines. C’est une ruse plutôt orientée prophylaxie golfique. Je suis vraiment le gars en général plutôt philanthrope. C’était dans l’espoir que vous ne soyez pas versés dans la langue de Shakespeare et que vous ne compreniez pas LE mot qui commence pas S et qu’il ne faut jamais entendre quand on est golfeur. Nous le connaissons ce mot si maudit et contagieux paraît-il. Oseriez-vous prétendre le contraire ? Non ? Bon allez, je vais y aller d’une petite histoire perso. Et vous conter ma petite descente aux enfers d’il y a quelques années. Vous êtes bien installés, une boite de Kleenex à portée de main ? Victor Hugo et ses « Misérables » à côté c’est vraiment du nougat. Vous êtes prévenus. Et le premier qui rigole je demande à l’éditeur de le bloquer sur le blog !

Le 29 juin 2004 ( j’ai encore ma Pro V1x avec la date indiquée dessus en souvenir ) pour la deuxième fois de ma vie de golfeur “très amateur” j’ai joué sous le par. Un joli 70, -1 sur un par 71. Pas peu fier le garçon. Un vrai -1, en partie de quatre. Donc certifié «no lie, no cheat». (Mon premier -1 ayant été obtenu en partie solo, j’ai à peine osé en parler autour de moi, de peur de passer pour un politicien.) Autant vous dire que j’avais soudain les épaules beaucoup plus larges. Dès le lendemain je me suis rendu à nouveau sur le parcours, bien décidé à re-éditer mon exploit.

Arrivé au départ du 1, m’apprêtant à driver, un « pro » (je n’ai pas trop compris sur quelle division il jouait, mais je l’avais déjà observé et admiré lorsqu’il s’entrainait parfois sur le parcours) me demanda aimablement si j’accepterais de jouer avec lui. Ma tension artérielle qui en général stagnait dans les 12/8 a immédiatement franchi la zone des 21/4. Limite au bord de l’AVC. Au fond de moi je me disais pour me calmer : « Bon je ne peux pas être trop ridicule, ayant joué -1 la veille et scorant en général dans les 5 / 6 sur ce parcours dans les bons jours, ça va le faire question bon voisinage. »

Trou numéro 1 donc, par 5. Il envoya son drive bien long bien droit et le mien, bien que beaucoup plus modeste, fut aussi plutôt excellent. Deuxième coup avec mon bois 5 assez réussi avec juste le bon fade, la partie commençait vraiment sous d’excellents auspices. J’étais sur mon petit nuage. Avoir la chance de jouer avec un expert comme lui, j’allais apprendre peut être plein de trucs. En tous cas c’était un véritable régal de le voir jouer. En plus il était franchement sympa, silencieux mais avenant, cool. Mon deuxième coup m’avait laissé court du green avec un coup de wedge de 60 mètres à jouer. Obstacle d’eau devant. Lui, il avait placé son deuxième coup sur le green. Logique. Je me souviens, après m’être bien aligné, d’avoir bien pris mon stance, d’avoir très légèrement ouvert des épaules (mon très légèrement n’étant assurément pas si léger en fait). D’avoir placé mon poids juste un peu sur mon pied gauche. D’avoir conservé un grip souple (certainement beaucoup trop). Je me souviens d’avoir démarré mon swing et après… je ne veux plus me souvenir de rien !!! NOOOOOOOOON !!! Il y a des moments où la lobotomie devrait être autorisée sur les parcours. Genre l’application qui efface tout de ton cerveau. Pomme+Z. « Êtes-vous sûr de vouloir re-initialiser ce disque, tout son contenu sera effacé ? Ouiiii, mille fois oui ! »

Ma balle, frappée avec le hosel de mon sand-wedge, partie à angle droit sur ma droite et atterrie avec un plouf au milieu des joncs. Quelle affreuse sensation de sentir immédiatement mon estomac tomber sur le sol, avec ma mâchoire et toute ma fierté. Floc ! Cette sueur glacée dans le dos. Le grip de mon club soudain complètement humide et glissant sous mes mains liquides. Ma tête bourdonnant. Un vertige nauséeux psychosomatique à la Woody Allen. Je crus m’en sortir néanmoins avec un ricanement flegmatique de gentleman anglais, qui ne se laisse par arrêter par une broutille de ce genre. Façon «Good joke, isn’t it ?». Je droppai une seconde balle, qui sous l’effet d’un swing crispé, saccadé, timide, assez minable, fit dix mètres et alla rejoindre la précédente. Là j’ai bien vu la façon délicate que le gars a eu de regarder ailleurs. Mais je le sentais éventuellement se marrer intérieurement. Enfin c’est ainsi que je l’ai interprété. Je ne sais plus en combien j’ai bouclé le trou, mais disons que Grouchy à Waterloo était beaucoup mieux embarqué que moi. j’avais déjà mangé plus de la moitié de mon index à la fin du 1. Je me revois marcher vers le départ suivant en lui murmurant : «  Je ne comprends pas, hier vous n’allez pas le croire, j’ai joué -1. » J’ai bien lu dans sa façon de hocher la tête qu’il était extrêmement bien éduqué. Il me répondit après un moment de réflexion avec un savoureux : » Oui en général c’est ce qui arrive souvent quand on a bien joué la veille ! ». Je ne saurai jamais si c’était un trait d’humour de sa part. Mais cela m’a réconforté sur l’instant. Je me suis senti adoubé, inclus au clan des grands de ce monde. « Ah, c’était donc normal quand on joue bien !!! »… Assez pathétique de naïveté, j’en conviens aisément aujourd’hui. Mais quel golfeur(se) peut prétendre savoir faire l’économie d’une stratégie de résilience dans un moment d’urgence comme celui-ci ?

Départ du 2. Très court par 4. Je décidai de jouer un fer 4 pour rester court des bunkers et me laisser un 9 à jouer. Swissssshhh…. Ploc ! 75 mètres à angle droit. J’ai même failli tuer quelqu’un sur le green annexe. Je vous fais l’économie du reste de la partie. MON cauchemar. MA honte. MON Waterloo. MON moment Van de Velde à moi. Combien de ces « S » ai-je fait ? Je ne saurais dire. Beaucoup. Au fil de la partie, cela a été un peu mieux. Mais, mon calvaire terminé, avec un score dans les 24 (ce qui montrait en toute objectivité la qualité de mon petit jeu vu le contexte de mon grand jeu), je crois que je suis resté assis dans ma voiture sur le parking un long moment. Les yeux dans le vide. Hébété. Détruit. K.O. Vidé de ce qui me constituait quelques heures auparavant. Avec ce simple mot en boucle méditative comme un mantra bouddhiste sur mes lèvres : « Pourquouâââ ?… Pourquouâ ? Mêêêh pourquouâ ? »

Les semaines qui suivirent furent assez pénibles. Si jamais vous avez croisé sur les parcours un gars avec le visage tout vert, une de ces sales nuances de green et toujours avec une gigantesque flaque d’eau fortuite sous ses pieds, coucou c’était moi ! Chacun de mes coups sur le parcours était précédé par une prière muette : « Mon Dieu faites que je n’en fasse pas encore une ! ». Il en faut peu pour devenir croyant, si si je vous l’assure. Je crois que j’ai fait des -s…..- avec tous les clubs de mon sac. Ce qui est une véritable performance. Ce coup désastreux étant en général réalisé avec les fers courts. J’en faisais même au chipping. Je ne suis pas du genre à faire les choses à moitié. Mes parties pour un temps devinrent donc de vrais films d’horreur. Je cessais de compter. J’avais peur, vraiment peur ! Et plus j’avais peur, plus je me crispais, plus… ! J’essayais tous les remèdes lus dans les livres que je compulsais maladivement comme un alchimiste voulant transformer le plomb en or. Je décidai de ralentir mon swing, de le garder sous contrôle. De rester « plus » sur mes talons. Ce qui ne changea rien. Je ne savais plus swinguer. Pfuit, évaporé ! Je me trouvais derrière la balle, ne sachant plus si je devais monter le club comme ci transférer mon poids comme ça, je ne visualisais que des « S ».  Je décidai aussi de ne jouer que seul, sans pression aucune. Ce qui fut mon dernier soupir. Car si je jouais indéniablement à nouveau un peu mieux sur certains coups parfois, je me voyais totalement anéanti quand les -s…- revenaient subitement tels des êtres maléfiques et qu’ils envoyaient mes coups de fers hors limites ou au mieux dans les bois. J’entendais leurs rires sardoniques de gargouilles résonner en écho tout au long des fairways. J’étais en boucle négative, ne parlant qu’à moi-même. Je délirais, devenais odieux et donc autant rester seul et n’embêter personne ! Enfin disons que c’était ma perception subjective des choses. Subjectivité objectivement raisonnable.

Je vous accorde une pause mouchoir avant de poursuivre ? Non ce n’est pas fini ! Vous étiez prévenus.

Finalement, alors que je proclamais depuis toujours d’être un véritable autodidacte du golf, ayant complètement perdu ce que j’avais mis des années à constituer, je décidai de consulter un professeur. Qui décida de changer complètement mon swing et la façon dont j’engageais mes hanches trop timidement. « Faut que tu rentres plus dans la balle ! ». Bilan, plus de « S » mais une belle hernie discale après quelques semaines de ce nouveau swing de brutasse, à force de faire des grattes sur le mince tapis posé à même le béton armé du practice. À 45 ans cela ne pardonnait pas. Un nerf du bras gauche foutu. Une douleur de chien pendant des mois. Mes ostéo, radiologue et acupuncteur enrichis. Mes clubs rangés au fond d’un cagibi pour longtemps. Puis un certain nombre d’années juste quelques rares parties lors des vacances d’été, en scramble avec mon fils, en dilettante, histoire de partager ces moments de bonheur si précieux avec lui… la vie et ses aléas et le boulot avaient aussi repris le dessus sur ma passion. Plus de golf. Plus de « S ». Problème réglé !

Bon, depuis je me suis guéri et je ne vous dirai pas comment. Ce sont mes « S » à moi, c’est très perso ces choses là. Et je n’ai aucune légitimité pour donner des conseils techniques à qui que ce soit ici. Depuis quelques mois j’ai repris très sérieusement le chemin de ma passion. Je reconstruis un swing pour ne plus me faire mal. Pour durer et prendre plaisir. J’ai rangé mes deux « 70 » d’antan sur une étagère. Tout va bien !

Puis-je cependant me permettre un petit conseil ? Si jamais cela vous arrive de faire ne serait-ce qu’une seule so… oooops pardon, je veux dire un « S » calamiteux. Le soir même, ouvrez une bonne bouteille et buvez là jusqu’à oublier. Marrez-vous, voyez des potes, dansez, chantez… Ou sinon consultez immédiatement un(e) hypnothérapeute. Et si cela se reproduit, cherchez un bon professeur de golf, mais un armé aussi d’un certain bagage en psychologie. Je sais, cela ne se trouve pas toujours sous le sabot d’un cheval. Et n’ouvrez surtout pas vos bouquins de golf afin d’essayer de vous soigner par vous-mêmes. Conseil d’un pro des « S », certifié « capable de passer de -1 à +36 en quelques semaines ! » et arborant encore parfois une de ces drôles de nuances de… vert !

Oui j’aime le golf , mais je me soigne.

*** (Avez-vous déjà été ensorcelé(e) pas ces foutues s….. ?)

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Sur Didier Brun

Passionné de golf depuis un autre millénaire, joueur senior amateur "lambda", avec ses hauts et ses bas (index 11,5). Je m'amuse à écrire à propos de différents aspects de ce sport merveilleux, en toute indépendance, tout en essayant de garder une bonne dose d'humour et d'auto-dérision. Les opinions que je diffuse avec plaisir sur ce blog n'engageant que ma modeste personne. Pour paraphraser Clémenceau : "La passion du golf est une affaire trop sérieuse pour la laisser (seulement) entre les mains des journalistes !"

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